#Тrashbucketchallenge ou quand le public outragé joue les justiciers

#trashbucketchallenge. Un hashtag des réseaux sociaux. Mais aussi un souci d’hygiène du milieu. L’hygiène du milieu politique et non naturel. D’où ce mode d’action, populaire et extrajudiciaire, donnant toujours lieu à cette même scène : un fonctionnaire corrompu ou un ancien élu du Parti des régions est attrapé, en pleine rue, par des protestataires outragés qui le jettent dans un bac poubelle.

C’est un fonctionnaire d’Odessa, Oleh Roudenko, qui a ouvert ce « bal des poubelles » le 5 septembre dernier. La réputation sulfureuse de corrompu lui colle à la peau . Fin août, il avait même été pris en flagrant délit par le Service de sécurité ukrainien (SBU), alors qu’il recevait un pot de vin de près de 30 000 euros en échange de ses services. La justice ukrainienne l’a d’abord suspendu dans l’exercice de ses fonctions. Puis elle est revenue sur sa décision, suite à un recours en appel du prévenu. Au final, Roudenko a repris son poste, après avoir versé une amende de près de 4 000 euros. Face à ce laxisme excessif des juges, ce sont les militants de Pravyï Sektor d’Odessa qui ont joué les justiciers.

Le 16 septembre, c’était le tour de Vitaliï Zhouravskiï, député de la Rada suprême et ancien membre du Parti des régions, de passer par le bac à ordures. Ce jour-ci, près de trois cents protestataires s’étaient réuni sur le parvis du Parlement sous les bannières d’AutoMaïdan et de Pravyï Sektor. Ils sont venus ici réclamer le vote de la loi sur « l’épuration du pouvoir », la fameuse « lustration », qui a été la revendication phare de la révolution du Maïdan.

Zhouravskiï, l’un des auteurs des lois liberticides du 16 janvier 2014 qui avaient provoqué un engrenage de violences sur la rue Hrouchevs’kogo, a eu la mauvaise idée de sortir du Parlement pendant la pause de midi. Les protestataires enragés l’ont reconnu, attrapé et envoyé dans  un bac poubelles avec des cris : « C’est à cause de toi que le sang coule dans notre pays ».

Cette scène de « justice » populaire a certainement mis la pression sur les élus. Tard dans la soirée, ils ont finalement accouché, par une courte majorité de 231 voix, au bout de cinq tentatives de vote, et après que les protestataires avaient mis le feu aux pneus sur le parvis, d’une loi sur la lustration. Or, ce texte sommeille car il n’est toujours pas promulgué.

Un autre député de la Rada suprême, Viktor Pylypychyn, a essuyé la colère populaire il y a cinq jours. Lors des élections parlementaires d’octobre 2012, Pylypychyn s’est distingué par des offres, gratuites et généreuses, de paniers alimentaires dans sa circonscription. Du sarrasin, de l’huile de tournesol, une boite de thé, un pot de confiture de lait, quelques biscuits, éventuellement des bonbons : tout pour inciter, matériellement et en flagrante illégalité, les électeurs à voter pour lui. Face à l’ampleur des fraudes pré et post-électorales à la faveur de Pylypychyn, le scrutin a été alors invalidé dans sa circonscription. Ce n’est qu’en décembre 2013, à la suite d’une élection partielle, que Pylypychyn a obtenu un mandat d’élu. Aux côtés d’autres députés du Parti des régions, il a, lui aussi, voté les lois du 16 janvier.

Des militants en colère ont arrêté Pylypychyn, le 25 septembre dernier, aux abords de la Commission électorale centrale. Alors que celui-ci est venu déposer sa candidature à la réélection et donc exercer son droit politique. De la peinture rouge lui a été jeté au visage ; lui-même, sans surprise, a été envoyé dans une poubelle. Dans la « poubelle de l’histoire » comme l’a écrit sur sa page Facebook l’initiative Varta Kyeva (Garde de Kyiv) qui s’est faite, cette fois-ci, justicier.

Pylypychyn

Dans l’attente, désespérée, d’une épuration des appareils de l’État —qui concernera des fonctionnaires corrompus, d’anciens dirigeants du Parti communiste ou agents du KGB soviétique et, surtout, des officiels du régime de Ianoukovitch— la frustration populaire monte. Une frustration face à l’impuissance du pouvoir à combattre la corruption et à restaurer la justice. Une frustration face à l’impunité d’anciens alliés de Ianoukovitch qui avait pillé, pendant des années, le pays. La Procurature générale a, en effet, fermé plusieurs enquêtes criminelles, impliquant de hauts responsables de l’ancien gouvernement. Un soupçon de corruption (achat illégal de 140 hectares de terre) et donc de connivence pèse même sur l’actuel Procureur général adjoint. Enfin, une frustration face à l’impression que, sept mois après la révolution du Maïdan, rien n’avait changé.

À défaut d’une lustration par le droit, c’est donc une lustration populaire, ce « trashbucketchallenge », qui est en marche à travers toute l’Ukraine. Elle est un exutoire à cette frustration trop longtemps accumulée et retenue jusque là. Elle trouve un large soutien auprès de la société ukrainienne, elle-même radicalisée et en demande de méthodes fortes vis-à-vis des représentants de l’ancien système. Elle donne, enfin, cette fausse illusion que l’on peut restaurer la justice au mépris du droit.

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2 commentaires pour #Тrashbucketchallenge ou quand le public outragé joue les justiciers

  1. ampailhes dit :

    Merci, Ioulia, c’est édifiant, à la fois jubilatoire (on se prend à rêver d’en faire autant chez nous) et effrayant par ce que cela dit de l’état politique du pays.

  2. Ping : Deux mondes s’entrechoquent dans la circonscrition n°102 | carnets de terrain de Ioulia Shukan

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